Pierre Présumey, poète vellave reconnu, vient de publier L’Écossais , un roman dont l’action se situe au Monastier-sur-Gazeille à la fin du XIX e siècle. Pierre Présumey a imaginé les trente jours que Robert Louis Stevenson aurait pu passer dans ce village avant d’entreprendre son péripl e avec Modestine, l’ânesse qui tiendra le premier rôle dans V oyage avec un âne à travers les Cévennes.
De l'écrivain écossais Robert Louis Stevenson, on connaît les romans devenus célèbres : L'Île au trésor ou encore L'Étrange cas du Docteur Jekyll et de Mr Hyde. Ce que l'on oublie, c'est que cette figure majeure de la littérature anglaise a séjourné durant un mois au Monastier-sur-Gazeille, au cœur de nos montagnes, à la fin de l'été 1878, avant d'accomplir avec l'ânesse Modestine ce qui deviendra le récit d'un Voyage avec un âne dans les Cévennes.
L'âme vellave y respire à pleins poumons
Pierre Présumey, auteur de poésie, natif du Monastier, ne pouvait qu'être intrigué par la durée du séjour que le célèbre écrivain avait passé dans le pays de son enfance. Publié aux éditions Hauteur d'homme, son roman complète les faits attestés dans la biographie de Stevenson : quels avaient pu être les découvertes, les surprises, les émois de cet Écossais (titre de l'ouvrage, ndlr) ? À Pierre Présumey, il restait à imaginer une histoire et des personnages fictifs, dans le décor bien réel d'un village de Haute-Loire il y a plus d'un siècle.
« L'escoulade » des truites
« Fonsine avait seize ans quand l'Écossais passa. Après quatre semaines, l'Écossais s'en alla, et Fonsine resta. » Ce sont les premières lignes, et elles nous disent déjà tout : de la naissance possible d'un amour et de ses limites. Limites qu'impose d'abord la langue : entre le voyageur de vingt-huit ans et la petite servante d'auberge qui l'accueille, il y a cette distance entre l'anglais et le patois vellave que comble le français, et qui sert de médiation entre les deux personnages.
Ils se comprennent finalement assez bien, et c'est Fonsine (diminutif d'Alphonsine) qui fait découvrir au voyageur « l'escoulade », ou braconnage des truites dans la Gazeille, ou encore lui décrit la pêche à l'épervier, filet plombé que l'on utilisait de ce temps. C'est elle, encore, qui sait si bien parler à Coco, le perroquet de sa patronne, personnage exotique que l'auteur a gentiment emprunté à Flaubert dans Un cœur simple. Cela n'empêche pas Fonsine, qui sait lire et écrire le français, de découvrir avec intérêt et fascination le roman de Victor Hugo, Les Misérables, paru quelques années auparavant.
Le patois du Monastier
Dans cette histoire, rien ne sera dit de l'exact sentiment de la jeune paysanne et de l'écrivain, car l'essentiel est ailleurs : dans la résurrection de la vie de nos campagnes à cette époque. C'est d'abord une langue.
Les personnages parlent le patois du Monastier, consubstantiel à leur quotidien. Le roman fourmille de mots, d'expressions que connaissent bien les natifs du pays, et qui s'accompagnent de traductions en bas de page. Et lorsqu'il n'est pas servi tel quel et dans son jus, le patois vellave ressurgit dans le français qu'il colonise de l'intérieur dans une « langue mêlée » : les personnages « écartent le linge », le vin s'avère « mieux bon » que l'année précédente, et l'on va faire pipi « déhors ».
La vie d'autrefois n'a plus alors qu'à se déployer dans sa diversité. Jeanne, qui gouverne l'auberge après sa patronne, a la rudesse et l'affection des femmes vellaves. Si le manchot de Sébastopol, et Pierre la Vitesse l'épicier sont des figures pittoresques, rien de tel, en revanche, pour les enfants ou le personnage du bon curé Enjolras, qui relient cette époque à la nôtre dans une émouvante permanence. Ils aiment les fleurs, les étoiles, et les belles histoires que l'on raconte chez soi ou au cabaret.
Une langue poétique et simple
Raconter : tel est l'essentiel, en effet, pour Pierre Présumey qui, comme Stevenson, « craint les grands mots, de quelque ton qu'on les prononce ». Mais use d'une langue directe, commune, à ras de l'expérience vitale des hommes, des plantes et des bêtes. Une langue poétique et simple, tout à la fois. L'âme vellave y respire à pleins poumons.
« Quant à Fonsine la servante, sa phrase coulait comme la rivière sur fond de galets tantôt blancs et tantôt noirs, tous par sa bouche roulés et lissés comme les cuillères de bois de la cuisine, plantées dans un grand pot de grès, toujours prêtes à servir. »
Pierre Présumey - Hauteur d'Homme édition 2021